Alireza – étudiant en cinéma en France
Alireza est l’un des nombreux mineurs isolés ayant obtenu la protection en France après que sa demande d’asile a été déboutée en Suède.
Aujourd’hui, il étudie à la célèbre école de cinéma Kourtrajmé.
L’entretien de la demande d’asile
Paris, le 25 novembre 2019.
13h20
En entrant dans l’immeuble, j’espère que la pièce où je serai reçu aura une fenêtre, qu’il y aura de la lumière. Je suis stressé.
13h40
Tout mon corps tremble. Je me rends aux WC, je me lave les mains et le visage à l’eau froide, je me regarde dans le miroir, l’image dans le miroir est floue, je prends une selfie et publie sur instagram. J’ajoute le texte : miroir flou, vie floue, pas clair pas clair pas clair.
14h20
Je prends mon sac, je patiente dans la salle d’attente. L’entretien aurait dû commencer il y a déjà 20 minutes. Je stresse encore plus. Peut-être que je me suis trompé, peut-être que ce n’est pas aujourd’hui, pas à cette heure-ci… ?
Mes pensées s’emmêlent dans ma tête, je suis au bord de l’explosion.
14h30
Enfin, une femme vient me voir et comme d’habitude mon nom est mal prononcé. Je ramasse mes affaires et la suit, pendant que mon passé m’envahi et pendant quelques secondes je me noie, je me rappelle les efforts pour apprendre aux personnes en Suède comment mon nom se prononce, apparemment j’aurai le même problème ici, à nouveau, mais je n’ai plus envie d’expliquer.
Je suis fatigué.
14h35
La femme en charge de mon dossier parle si vite que je saisie à peine quelques mots de ce qu’elle dit, mon niveau de français n’est pas assez bon.
Derrière elle, une fenêtre, parfait, c’est ce que je voulais.
Il y a aussi une autre femme, qui traduit le français en dari, elle est gentille.
Ici, nous ne sommes que trois, contrairement à mon entretien en Suède où mon administrateur ad hoc et mon avocat impoli étaient également présents.
La femme prononce mon nom de façon déterminée et me menace : si je mens, je violerais la loi…
J’accepte.
15h05
Les questions sont simples, pas compliquées comme celles qu’on m’a posées avant. Après un petit moment, je ne suis plus stressé, je me détends sur la chaise. Je la regarde droit dans les yeux, mes réponses sont directes et sans hésitation.
15h40
- Parlez-nous de vous, de votre identité…
Cette question me fait réfléchir. Je me rappelle que sur ma carte d’identité afghane, Helmand est indiqué comme mon lieu de naissance, mais je n’ai quasiment aucun souvenir de cet endroit. Ma famille a fui pour l’Iran quand je n’avais que quelques mois. Toute mon enfance est remplie de souvenirs de l’Iran, alors je finis par dire que je suis un Afghan de l’Iran. Je raconte que nous sommes originaires de l’Irak et que j’appartiens à un groupe ethnique qui s’appelle Seyed, que nous sommes arabes et des musulmans chiites et qu’on fait l’objet de persécutions.
Je me sens mal.
16h05
L’entretien touche à sa fin. On m’indique la sortie, je me pose dans un café, commande un café, fume une cigarette et pense à ce qui vient de se passer. Je ne me sens pas au top.
1er février 2020
Les règles de la grammaire française me mettent en colère – Mon Dieu, qui a inventé ça ? Je reçois un message sur mon portable : l’OFPRA m’informe qu’une décision a été prise concernant ma demande et qu’une lettre a été envoyée à mon adresse. La panique m’envahit.
5 février 2020
« Félicitations, vous avez obtenu une protection » me dit mon assistant social au téléphone. Je le remercie pour son message, j’éteins mon portable, maintenant je veux dormir, sans réfléchir, pour la première fois depuis des années.
Je suis fatigué.